Emile Didier, 1890-1965

Emile Didier, Emile Leroy Didier selon l’état civil, est né, hors mariage, le 20 septembre 1890 d’une demoiselle Marie Zoé Didier, domestique, demeurant dans le 6ème arrondissement de LYON, et originaire des Hautes-Alpes. L’acte de naissance compte parmi les témoins un Joanny Leroy « peintre » dont on peut penser qu’il est le père.

On ne sait rien de l’enfance ni de la scolarité de Emile Didier. Il entre à l’école des Beaux-Arts en 1904, en suit le cursus (classe de Bosse en 1905, de Modèle vivant en juillet 1906, de Fleurs en octobre 1906) et quitte l’école en juillet 1910, après une longue scolarité réussie et pourvue de nombreux prix (médaille d’or de Fleurs, d’Application industrielle), qui le conduit naturellement vers le travail de dessinateur industriel. C’est au Beaux-Arts de Lyon qu’il rencontre ses condisciples Antonin Ponchon, et Jacques Laplace qui vont devenir des compagnons et des amis.

Le service militaire interrompt le commencement de cette carrière, puisqu’il est incorporé sous les drapeaux en octobre 1911, pour un service militaire qui le mène jusqu’en septembre 1913, date à laquelle il est placé dans la réserve.

Mais la guerre de 14-18 survient : il est mobilisé, incorporé au début du mois d’août au 140ème régiment d’infanterie, et blessé à la fin de ce même mois. Placé ensuite dans les services auxiliaires à partir de janvier 1915 pour « péricardite », il est infirmier militaire à Grenoble, et même jusqu’au 26 août 1919, date de sa démobilisation.

Il y rencontre les peintres Louise Morel et Marcel Sahut, futur fondateur du Salon de l’Effort en 1920, avec qui des relations durables et fécondes se nouent, puisque Sahut sera un des invités de la troisième exposition Ziniar de 1922 avec E.O. Friesz et A. Modigliani.

La situation de guerre ne l’empêche pas de continuer à peindre, puisqu’on trouve des huiles datées de ces années-là. Sa manière est alors celle des post-impressionnistes de son temps, avec des paysages rapidement brossés, simplifiés à l’extrême. 

Après guerre, Emile Didier mènera de front une métier de dessinandier et une activité bien remplie de peintre. Il manifeste une belle volonté de peinture puisqu’en 1920, un an seulement après sa démobilisation, il est un des membres les plus actifs du groupe Ziniar qui prétend installer la modernité artistique parisienne la plus récente au coeur d’une ville réputée pour son autonomie et son conservatisme. C’est Didier qui signe la couverture des albums de bois gravés édités par le groupe et il produit même une deuxième estampe pour remplacer celle de Pognante qui fait défaut dans le premier album. A cette époque il est très fortement influencé par le cubisme d’Alexis Léger. Il expose chaque année avec ses amis du groupe Ziniar et en 1921, 1922, 1923 au Salon d’automne.

Il participe, plus régulièrement que Jacques Laplace, aux aventures de l'avant-garde futuriste et dadaïste lyonnaise en travaillant pour la revue de Malespine, Manomètre (9 numéros parus entre 1922 et 1928) : un bois gravé dans le numéro 2 (octobre 1922), un dans le numéro 3 (mars 1923) et un dernier dans le numéro 5 (février 1924).

En 1924, Didier fonde avec les artistes du groupe Ziniar l’Union régionale des arts plastiques (URAP), destinée à défendre les intérêts des artistes et à promouvoir une peinture exigeante auprès d’un public trop conformiste qu’il s’agit d’éduquer. Et en 1925, l’URAP fonde le Salon du Sud-Est, auquel Didier restera fidèle tout au long de sa vie.

En décembre 1925, une exposition à la galerie Saint-Pierre rassemble des oeuvres de Laplace, de Ponchon et de Didier.

En 1927, il expose Salon des arts de Versailles des dessins « habilement aquarellés ».

En 1929, il a droit à une exposition personnelle chez son ami Antonin Ponchon, à la galerie des Archers.

Par la suite, même si on n’a pas trouvé trace d’autres expositions personnelles, Didier continue à peindre, et très régulièrement, et à exposer au Salon du Sud-Est, et jusque au début des années soixante

En avril 1936, il expose encore avec Jacques Laplace, chez Sornay, à Lyon, 10 rue Paul Chenavard.

 

Il est jugé tout au long de sa carrière de manière très ambivalente par la presse. Lors de sa période cubiste, si le critique anonyme du Progrès lui reconnaît « d’être peintre : chacune de ses compositions révèle un accord, un arrangement décoratif nouveau », le plus souvent on le considère comme « extravagant », son art est un « art de système» et donc sans lendemain… Par la suite, en dépit du succès de certaines expositions, jamais Emile Didier, même avec les critiques favorables à la modernité, ne trouvera un soutien plein et entier, un enthousiasme porteur. Il lui sera toujours reproché quelque chose : un dessin mal fini, une couleur trop systématique, des effets artificiels. Mermillon écrit ainsi : « Didier sera un bon et peut-être un grand peintre quand, avec les années il ajoutera à ses dons, la mesure, une observation plus stricte, une ardeur plus rassise » Le Tout Lyon, 1er février 1926.  C’est assez dire que l’artiste n’entre pas dans les cadres modérés de la peinture lyonnaise souhaitée par Marius Mermillon. Un peintre donc « peu soutenu, mal encouragé » comme l’écrit encore Déroudille en décembre 1946, quand il fait sommairement, à l’occasion d’une exposition, le point sur cette carrière.

Pour expliquer peut-être la mise à distance que subit Didier, encore aujourd’hui d’ailleurs, il faut reconnaître que son travail a régulièrement changé entre 1910 et 1960. Il est de ces peintres qui se remettent en question et cherchent des solutions nouvelles, ce qui est assez rare à Lyon où l’on préfère la stabilité, où l’on est rassuré, comme nous l’a dit un jour un artiste contemporain, de pouvoir qualifier une fois pour toutes un artiste… 

Pour ce que nous avons pu observer avec les toiles datées, on peut distinguer plusieurs périodes. 

Entre 1910-1919, période de formation et de guerre, il donne des oeuvres post-impressionnistes, marquées par la simplification, modernes certes, mais pas vraiment d’avant-garde.

De 1919 à 1923-24, il subit la tentation cubiste : c’est l’époque « des tuyaux » comme dit la presse qui évoque l’art de la « fumisterie ». 

Dès 1923, la critique note le retour à la raison, c’est à dire « l'abandon du système » et c’est le début d’une période colorée qui va durer jusqu’en 1932 : les rouges, les bleus, les jaunes, explosent avec un retour de la représentation. 

Entre 1932 et 1942, vient ce que nous appelons une « période grise » :  Didier produit des toiles dans lesquelles il bannit presque la couleur : la presse note que "Didier a proscrit de sa palette à peu près tout ce qui n’est pas le blanc et le gris." Le Tout Lyon, 1932). Et cette manière se trouve jusque dans des toiles des années 40.

Pendant la guerre, commence une dernière évolution : pendant un temps, on a l'impression qu'il souligne les formes des choses (fleurs, bâtiments, ponts...) d'un large trait noir. Les ciels sont faits de touches larges et obliques, de moins en moins fondues contrairement à la période précédente…

Dans les années 50 à 60, Didier entre dans ce qu’on pourrait appeler une « période tremblée » : il prend cette touche très particulière, faite de petits coups de pinceaux multipliés, superposés, qui donnent une impression de miroitement, et qui évoque parfois Fusaro ou Cottavoz (ils commencent à peindre à ce moment). De fait, on a l'impression qu'il perd ses motifs, qui deviennent brouillés, presque fantomatiques. Il se libère, semble-t-il, du souci réaliste de la représentation ; on ne reconnaît plus le paysage, seuls des éléments épars rappellent un lieu. Le tableau n'est que peinture, touches de blanc irrégulières ou de crème sur des fonds plus sombres, des teintes plus fortes...

Il est étonnant de constater que si un Combet-Descombes qui a très peu changé au cours de soixante ans de peinture, a toujours été célébré, et a fait l’objet de quelques expositions rétrospectives, Emile Didier n’a pas eu ce privilège, alors même que les institutions régionales conservent plusieurs de ses oeuvres. On ne sait à quoi il faut attribuer cette relative mise à l’écart. Sa personnalité  peut-être puisque Joseph Jolinon évoque un « Didier solennel et grave » quand il raconte les soirées animées de la Brasserie du Nord. Ou son art de « révolté » (ainsi le qualifie t-on durant l’épisode cubiste), son mépris pour les convention sociales (il ne se marie qu’en 1953 après des années de concubinage), son travail professionnel mené de pair avec la peinture, les changements fréquents de son style... Tout cela l’a maintenu et le maintient encore dans une relative indifférence, dans une méconnaissance qu’il ne mérite pas. C’est donc un artiste que nous invitons à redécouvrir. 

Son oeuvre gravé est rare. Il ne semble pas avoir produit après la  période cubiste des années 20 à 23. Il n’a pas non plus illustré, contrairement à certains de ses amis, à Jacques Laplace, ou à Combet-Descombes.

 

 

 

Sources

Les sources concernant Emile Didier sont rares. Nous n'avons pas trouvé  d'étude particulière sur son art.

Presse : Le Progrès, le Salut Public, Le Tout Lyon, la Revue des Beaux-Arts, L'intransigeant, Les nouvelles de Versailles, Le Fleuve, Arts, Le Mémorial de la Haute-Loire, Les Lettres françaises, etc.

Noel Mongereau, Lyon du XXème au XXIème siècle, éditions lyonnaises d'art et d'histoire.