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Ziniar

Antonin Ponchon, pochoir.
Antonin Ponchon, pochoir.

Onze ! Ils sont onze ! Onze peintres, à peine sortis ou revenus de la guerre de 14-18. Presque de la même génération, ils ont autour de 35 ans. Le plus âgé a 44 ans, le plus jeune 26. Tous ou presque Lyonnais et diplômés des Beaux Arts de Lyon.

Certains déjà connus, exposants réguliers du ronronnant salon d’automne. 

Pourquoi se sont-ils réunis ? Qui les a réunis ? Accordés ? Quelles déceptions, désillusions ou au contraire quels désirs, quels enthousiasmes, quelles envies ? On ne le sait pas et c’est ce qui rend l’aventure intrigante. 

Car c’est une aventure. 

Qui commence par un baptême : s’appeler d’un nom étrange  nom d’ailleurs que tout le monde, la critique en tête, va trouver barbare, incompréhensible, ZINIAR. Sont-ils donc des (z) ignares ? Anticipent-ils par ironie les réactions d’un public traditionnel et de collègues académiques, qui ne manqueront pas de les traiter de barbouilleurs ignorants, incapables de finir une toile, tout juste capables d’ébauches maladroites et sans métier ? Blaguent-ils, potaches, par un jeu de mots avec le zinnia, cette fleur flambeau de l’école de Lyon qu’on va trouver sur la couverture du premier et du dernier album ? Faiseurs de zinnias et donc Ziniars ? Mystère encore.

Toujours est-il qu’ils osent, rapprochées de quelques semaines, deux expositions de groupe, l’une en novembre-décembre 1920, l’autre début avril 1921.  Coup de communication ? Plaisanterie ? Orgueil ? Prétention ? Démesure ? Provocation ?  Ou innocence ? 

Avec un nouveau galeriste, du même âge qu’eux, issu de la région, avec un parcours presque identique, mais débarqué de Paris. Qui a eu l’audace de s’installer aux portes mêmes du Musée de Lyon, au 10 rue de l’Hôtel de ville, aujourd’hui rue Président Herriot.

 

Morillon, nature morte.
Morillon, nature morte.

Et comble de provocation - cerise sur le gâteau pour l’amateur d’estampes- pour chaque exposition chaque artiste produit un bois gravé qu’ils réunissent en album, avec en outre une liste des oeuvres exposées. Expérience iconoclaste dans une ville qui a choyé depuis le XVIIème siècle les burinistes, participé à la réinvention de la taille douce au XIXème. 

Et mieux encore, pour aggraver leur cas, entre les deux expositions ils risquent un album de pochoirs en couleurs, ce procédé récent de multiples utilisé depuis peu par l’industrie de la mode, notamment par les soyeux lyonnais pour faire connaître leurs collections. Trois albums, donc, trente-trois planches au total, qui marquent les esprits. Et qui aujourd’hui font l’objet d’une réédition numérotée, avec des sérigraphies de l’atelier Chalopin, pour laquelle votre serviteur a écrit une présentation.

Dans l’immédiat après-guerre, les artistes se cherchent. En art comme en beaucoup d’autres domaines, les choix d’une époque ne sont jamais uniformes : on y crée encore et avec succès des oeuvres qui obéissent aux mêmes codes que celles des générations précédentes et en même temps d’autres jamais vues annoncent le futur. Entre les deux une foule d’artistes qui hésitent, cherchent. Ainsi avant-guerre, existe pléthore de représentants d’une peinture traditionnelle, référentielle et réaliste, qu’on dit académique ;  le symbolisme fin de siècle n’a pas encore dit son dernier mot, le néo-impressionnisme survit plutôt bien, mais les Fauves ont fait éclater la couleur (1906), puis Cézanne et  les cubistes à leur tour ont fait vibrer la forme. 

Et ces lyonnais de Ziniar, comme nombre d’artistes en France, tiraillés entre les tendances, s’éloignent néanmoins de l’académisme, et penchent, avec plus ou moins de réussite, vers la modernité. 

Nourris des codes et pratiques novatrices, les artistes de Ziniar reflètent la diversité d’une époque troublée, que la guerre, un temps, a figée.  On trouve dans leurs estampes des aspects du symbolisme, voire du fauvisme, et même du cubisme. On serait tenté de conclure que ces influences venues de Paris, qui font la jeune peinture lyonnaise des années 20, marquent la fin de ce qu’on a appelé et parfois appelle encore l’Ecole lyonnaise de peinture, elle qui s’est toujours voulue autonome. Pour cela, il faut voir et revoir ces estampes. Des estampes faites à Lyon, et si peu lyonnaises.

P.B. 

Ziniar, deux albums de bois, un album de pochoirs, sérigraphies de l’atelier Chalopin, édition limitée à 200 exemplaires numérotés (de 1 à 20 au prix de 350€, et de 21 à 200 à 220€).

Ouvrage consultable à la galerie Damien Voutay, 35 rue Auguste Comte, 69002 Lyon (contact 06 61 25 51 87). 

Commande à BrouillArts Lyonnais, 23 place Bellecour, 69002 Lyon.

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Commentaires: 2
  • #1

    Etienne MARTIN (vendredi, 23 février 2024)

    Madame, Monsieur, pourriez-vous me donner des précisons concernant cette publication: nombre de pages de texte, auteurs(s), quels artistes représentés, nombre d'oeuvre par artiste?
    Bien cordialement
    E.M.

  • #2

    P.Brunel (vendredi, 23 février 2024 16:46)

    La publication en question est un fac simile des trois albums parus en 1920 et 1921. Ces trois albums comportent chacun une estampe pour chacun des 10 artistes ( A.Bas, L. Bouquet, P.Combet -Descombes, C. Dalbanne, E. Didier, M. Gimond, Laplace, P. Leriche, E. Morillon, A. Ponchon, J. Roblin, A. Tresch). A l'origine, ils ne sont pas accompagnés de texte. Mais la publication présente est accompagnée d' un texte de présentation d'une douzaine de pages.
    Ph. Brunel