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HA (1)

HA, ce sont les initiales d’un presque inconnu, Hector Allemand (1809-1886) du milieu du XIXème siècle lyonnais : c’est ainsi qu’il a signé ses premières estampes, pendant près de dix ans, avant d’oser graver son nom entier. 

On sait qu’il se trouve parmi mes graveurs préférés, et que mon amie Suzanne Palliard m’a offert d’exposer chez elle. On trouvera la page que je lui consacre ici. Inutile donc de revenir sur sa vie et son oeuvre. 

Je le tiens pour le graveur lyonnais le plus important de son époque. Certes son dessin est maladroit parfois, notamment sur les figures, dont il ne peut s’empêcher de peupler ses paysages, ses motifs peu variés;  son trait manque d’expressivité, de liberté. 

Il n’est pas Rembrandt, même s’il en possédait une collection de 122 épreuves, dont Les Trois Croix, Le Pont de Six, la Vue d’Omval, plusieurs autoportraits, nombre de pièces religieuses, souvent des « épreuves belles et rares » comme l’annonce, après son décès, le titre de la vente de ses biens aux enchères qui eut lieu en 1887, le « 1er mars et les neuf jours suivants, de 2 à 5 heures et le soir à 7h 1/2  en l’Hôtel des Commissaires-priseurs du rue de l’Hôpital, 6, salle n°2 ». 


J’imagine que cet hôtel des ventes correspond à celui qu'occupe aujourd’hui la maison Ivoire, au 6 rue Marcel Rivière, dont les locaux, la grande salle vitrée d’exposition au rez-de-chaussée et même la salle de l’étage, ont ce charme suranné qui s’accorde magiquement au capharnaüm d’antiquités, de débris, de ruines, de beauté et de mystère qu’on trouve ici à s’échanger et j’ai désiré souvent avoir assisté à cette vente et vécu l’attente inquiète du bref moment, d’abord lointain, et de plus en plus rapproché, où viendra enfin, dans un rituel immuable, devant la table du commissaire et sous les yeux du public, la pièce convoitée et retentira si rapidement le coup de marteau fatidique.

 

Il n’est pas non plus, disais-je, le grand Hobbema qu’il admirait par-dessus tout (une des estampes d’Hector est une interprétation d’un tableau de ce peintre flamand qui se trouve au Louvre, estampe probablement rarissime, ne figurant pas dans le catalogue raisonné établi par Mme Bidon dans les années 70), et dont les tableaux, quand on les regarde aujourd’hui, nous paraissent et grandiloquents et sombres. 

 

On l’a cru un peu rustique mais il a une certaine naïveté, et presque une originalité, lui qui, autodidacte, n’a pas été formé, j’allais dire formaté, à l’école des Beaux-Arts de Lyon. Et sa carrière d’aquafortiste commence vers 1830, quand en France, on s’intéresse plus à la lithographie naissante qu’à l’eau-forte.  Enfin, son style « d’après nature » qui le fait travailler en plein air sur la plaque même, en fait un contemporain exact des peintres de Barbizon, et un précurseur du renouveau de l’eau-forte auquel on assiste vers 1860.

D’ailleurs il connaît Auguste Bléry, Daubigny, Harpignies, Troyon, et surtout Théodore Rousseau (1812-1867), qu’il visite chaque fois qu’il monte à Paris, et dont on n’imagine pas aujourd’hui la célébrité.

Dans une lettre, il évoque une petite étude qu’il vient d’offrir  à un correspondant : 

 « Chaque année, je faisais le voyage de Paris jadis. Aujourd’hui c’est bien plus rare. J’emportais avec moi dans un carton les meilleurs études de dessins faits dans la saison pour les montrer à mon ami Th. Rousseau qui m’en priait, et nous nous enfermions, seuls dans son atelier. Et j’étais heureux de voir son avis et souvent ses éloges, dont il était assez avare. Quand il vit l’étude en question, je me souviens qu’il me dit :  « C’est curieux comme cela me ressemble ». Donc j’ai pensé depuis que c’était bon et je la gardais soigneusement. »

Ne dirait-on pas un jeune peintre en visite chez le vieux maître ? Je ne peux m’empêcher de penser que mon ami Hector, bien qu’un peu plus âgé que Rousseau de trois ans, nourrit, avec raison sans aucun doute, un complexe d’infériorité par rapport au peintre à succès parisien. Mais le mot de Théodore Rousseau ne laisse pas non plus de m’interpeller. Peut-être un artiste est-il plus apte que moi à démêler le noeud d’émotions qui se cachent là-dessous !

 

Tout cela parce que je vais faire revivre un fragment de sa vie. Qui ne devrait pas manquer d’interpeller encore mes lecteurs artistes. 

Mais cette page est assez longue. La suite au prochain numéro.

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Commentaires: 2
  • #1

    gérard Klein (samedi, 04 avril 2020 12:57)

    J'ai regardé avec plaisir ces deux images (oui je sais, le terme image signe le néophyte que je suis !), mais je n'ai pas reçu la même émotion que devant "branchages " de Bresdin.
    Je suis un peu perplexe. Le commentaire sur HA comporte de nombreux "bémols" comme "dessin maladroit...motifs peu variés...manque d'expressivité du trait..." etc, et pourtant le déclare le "graveur Lyonnais le plus important...". La raison m'en échappe, mais il est vrai qu'en amour comme en émotion esthétique "le cœur a ses raisons ...etc" .
    J'ai retrouvé (laborieusement) le tableau de Arp figurant dans l'une de mes "histoire de l'art": il s'agit d'un bois polychrome, 39X31 (en réalité plutôt noir et blanc) de la série des "configurations" et des "constellations" intitulé "configuration 1931", du Musée Sztuki de Lodz en Pologne. J'aurais pu t'envoyer une photo scannée , mais ne sais pas le faire avec le présent blog. Après un nouvel examen en regard de "Tourbillon", la ressemblance est moins frappante; elle tient surtout dans la forme et la disposition des objets noirs dans l'espace du fond gris...Pas de quoi disserter sur les mystères de la communion spirituelle intergénérationnelle des artistes...

  • #2

    PB (samedi, 04 avril 2020 22:22)

    Tu as raison, je suis dur avec lui. En fait, les jugements qu'on porte sont toujours relatifs : il est parfois maladroit, c'est vrai à mon avis, mais il a des qualités que je crois avoir indiquées. Cela dit, à côté des gravures de Corot (même génération), qui lui n'aimait pas cela, n'en a fait qu'à la demande expresse de ses amis et comme en s'en débarrassant, mon Hector Allemand c'est du presque rien... (Et cela m'invite à faire une chronique avec Corot).