Hector Allemand, 1809-1886

Le peu d'informations trouvées sur le net rendait nécessaire la création d’une page consacrée à cet artiste.

 

D’une famille aisée de rentiers installée à Lyon, Hector Allemand passe cependant son enfance à Tarare, dans les monts du Lyonnais, où son père, « contrôleur principal des droits réunis » de l’Empire, a dû se retirer à la Restauration. Sa mère, miniaturiste, élève de Gros et de Gérard, et son père, amateur d’art et collectionneur de gravures, favorisent sans doute un penchant pour l’art. 

Mais à l’adolescence  il est placé comme commis chez un fabricant lyonnais, proche de la famille. Il y progresse rapidement, devenant vers 1833 associé et chef de la maison. A 36 ans, en 1845, enrichi, il peut vendre son établissement pour s’installer dans un atelier de la rue Bourbon à Lyon. Durant cette période, en 1846, sa compagne met au monde un fils Gustave qui à son tour deviendra peintre, et qu’il adoptera en 1869.

 

Son activité de peintre, commencée sans doute très jeune, dès 1826, et qui trouvait place dans les moments de loisirs, peut alors se développer entièrement. Ses voyages d’affaires  à travers l’Europe lui ont donné l’occasion de voir dans les musées, à Paris, Londres, Bruxelles, Amsterdam ou Anvers, des oeuvres de  Constable, Ruysdael, Hobbema, Berghem, voire de s’acheter des oeuvres (dont on trouvera trace dans l’importante collection de peintures et d’estampes qui sera dispersée à sa mort). Sa formation artistique n’est pas bien connue : on suppose qu’il rencontre dans les années trente le vieux peintre et graveur Grobon et probablement aussi son contemporain Guindrand, qui d’ailleurs est surtout lithographe. Mais on n’a pas trouvé à ce jour de mention d’un apprentissage spécifique dans un atelier.

 

Quoi qu’il en soit, on signale une première participation à l’exposition de 1846 du salon  de la Société des amis des arts de Lyon, comme le font les artistes de son temps, au salon de Paris en 1848.  Philippe Burty recense ses travaux dans ses comptes-rendus de la Gazette des Beaux-Arts : « M. Allemand joint à un tempérament nerveux, un esprit cultivé et un grand et sincère amour du travail. Les dernières expositions à Paris ne lui ont point conquis cette place qui est trop souvent occupée par des succès de moins bon aloi; mais les amateurs et les critiques seraient bien surpris s’ils passaient quelques heures, comme nous l’avons fait maintes fois, à parcourir ses cartons de dessins, d’aquarelles ou à interroger la franche et saine qualité de ses études peintes » GBA, 1865.

 

Une estampe dédicacée à Paul Chenavard, conservée à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon,  d'autres à Bléry ou à Harpignies rencontré sans doute à Crémieu avec Ravier, témoignent de son implication dans la vie artistique de son temps, ce que confirme une correspondance avec le collectionneur montpelliérain Alfred Bruyas, conservée à la bibliothèque Doucet, qui lui achète une peinture. Il a rencontré Paul Huet, Prosper Marilhat (mort en 1846),  et entretient des liens d’amitié avec J.B. Laurens, le peintre de Montpellier et bien entendu  avec certains artistes lyonnais comme Ravier, ou Ponthus-Cinier à qui il dédicace ses Causeries sur le paysage et d’autres...

 

Ses lettres donnent l’image de l’artiste peintre qu’il est : un solitaire exigeant, pour qui la peinture, et notamment celle travaillée sur le motif,  est un besoin vital. Il est marqué, dit-il, par l’« amour de la nature » ;  il refuse l'appellation de peintre de "métier" qui signifie pour lui recettes apprises ou absence de sincérité.  ll déclare souvent n’avoir d’ailleurs pas besoin de vendre pour vivre.

Très souvent insatisfait de son travail  (il parle encore de «150 peintures effacées »), il est aussi très persuadé de la valeur de son oeuvre.  Il place comme la plupart de ses contemporains, au sommet de l’art de son temps Théodore Rousseau, tout en dénigrant les toiles les plus récentes qu’il estime gâtées par le succès et montre son attachement aux Hollandais, notamment à Hobbema dont il évoque à plusieurs reprises le sort et d’après lequel il aurait gravé quelques planches, d’après le dictionnaire Audin-Vial. 

 

En 1877, il publie des Causeries sur le paysage et à sa mort on trouve des notes pour des « Etudes sur les maîtres peintres graveurs à l’eau-forte du XVIIème siècle » qu'il n'a pas eu le temps d'éditer.

Malgré une attaque qui paralyse son bras droit en 1878, il continue à travailler en peignant et en gravant de la main gauche. 

 

 

 

L' oeuvre gravé

Dans une lettre à Bruyas, il écrit ceci : « J’ai eu la passion de la gravure à l’eau-forte et je puis dire que, lorsque ce genre était oublié,  je le cultivais avec ardeur. Dès l’année 1829, date de la première planche, j’en ai gravé près de 80, mais j’en ai détruit au moins 60 (note 1). J’ai dans les collections de Paris, Londres, et Amsterdam mes meilleures. Je n’ai jamais édité, ni mis en vente mes eaux-fortes, aussi elles sont très peu connues des amateurs ».  Lettre du 15/02/1874). Une vérification rapide faite par Mme Perez "n'a pas permis de conforter cette affirmation pour Londres et Amsterdam". Il faut plutôt penser que H. Allemand est prompt à défendre son oeuvre auprès de ses collectionneurs et amis. Il écrit dans une autre qu’il gravait lui-même ses cuivres (sa vente après décès mentionne une presse) et qu’il n’a pas cherché à faire éditer ses estampes, tirées donc en petit nombre.

 

A passer en revue les 82 planches recensées par C. Bidon et P. Prouté, H. Allemand semble un paysagiste répétitif : il s’intéresse exclusivement à des coins de nature caractérisés par un plan d’eau au premier plan (mare, étang, rivière ou fleuve) près duquel se dresse un groupe d’arbres, en lisière ou en sous-bois, ménageant souvent une ouverture sur un étroit horizon. Presque tous sont animés, par un paysan, un pêcheur, un promeneur, un berger, des animaux, toujours un peu perdus dans l’espace qui les entoure. Huit montrent des constructions humaines (abris de paysans, chaumière, hameau, chapelle…), deux s’intéressent à l’Ile Barbe, motif pittoresque et traditionnel depuis De Boissieu, des environs de Lyon. Deux paysages seulement, tous deux de la vallée d’Optevoz, offrent des vues plus générales.

Il donne pour titre à ses gravures un nom de lieu, comme presque tous les paysagistes de son temps le font, signifiant par là la nouvelle conception du paysage, plus intime, plus authentique, qui se fait jour à l’époque et s’éloigne du paysage historique, recomposé. Il nous donne à voir un souvent banal coin de nature, aisément localisable et éventuellement reconnaissable. 

Ses motifs sont situés à la proximité immédiate de Lyon : on trouve les bords du Rhône, Francheville, Rochecardon, mais aussi un peu plus loin la plaine de l’Ain, autour de Crémieu et Optevoz, rendez-vous des peintres lyonnais, que d’ailleurs Corot et Daubigny ont fréquenté aussi.  Pas un seul paysage qui s’éloigne de Lyon et de sa région. Allemand va là où les peintres lyonnais sont toujours allés, mais ne s’éloigne ni vers les Alpes ni vers la Méditerranée comme d’autres l’ont fait. En ce qui concerne les motifs, il ne se distingue donc guère de ses contemporains.

 

Plus original est le fait d’insister, comme il le fait pour ses croquis dessinés, sur sa manière de faire : l’expression manuscrite « gravé sur le motif » revient non seulement sur les feuilles sur lesquelles Allemand colle ses estampes, mais parfois dans le cuivre même. On a peine aujourd’hui à imaginer le graveur s’installant dans un coin de campagne avec sa planche de cuivre et sa pointe. Et pourtant il n’y pas lieu de le mettre en doute, d’autres aussi l’ont fait. Cela signifie pour lui que l’estampe s’apparente au dessin, au croquis (tel est en effet le titre qu’il donne à l’une des ses pointes sèches) enlevé et griffonné aussi naturellement, sans apprêt, « de chic » comme on devait dire à l’époque, mais destiné à être reproduit. Il ne faut pas s’étonner qu’il lui arrive de rehausser des eaux-fortes de lavis, de les « remonter au lavis » comme il l’écrit sur l’une d’entre elles. 

L’artiste d’ailleurs mène jusqu’au bout l’activité de graveur, en tirant lui-même ses planches : dans une lettre à Bruyas (Lettre du 11 X 1873), il s’en prend à ces artistes qui « ne veulent pas s’astreindre à la cuisine sale, longue, pénible de la mise en scène soit du vernissage et surtout la morsure chose si importante ;  une fois leur cuivre verni par un autre, ils tracent et font leur travail à la pointe et donnent à mordre à un praticien qui ne sait comment le cuivre a été verni, même degré d’acide pour tout le monde et cependant travail différent ». Alors que lui fait tout par lui-même et tient à le faire savoir. Et tirant lui-même, il joue avec les effets d’encrage, parfois en « retroussant », c’est à dire en faisant ressortir une certaine quantité d’encre des tailles pour adoucir l’ensemble. Il faut ajouter encore qu’il choisit avec soin ses papiers, avec une préférence pour le papier vergé de Hollande, ou le velin de chiffon. La gravure n’est donc pas seulement un moyen de diffusion de sa peinture, comme on a pu le penser, mais un mode d’expression à part entière, que l’artiste veut maîtriser de bout en bout.

 

 

Il est assez difficile d’analyser une évolution de l’art de H. Allemand, notamment parce que toutes les estampes ne sont pas datées. Mais on peut malgré tout relever une évolution de sa technique. Il procède, surtout au début de sa carrière, à des griffonis légers et rapides, un peu désordonnés, presque maladroits, à quoi correspond sans doute l’expression « gravé sur nature ». A l’impression, cela donne des planches assez grises de tonalité, et peu contrastées. D’autres graveurs de son temps peuvent donner aussi cette impression comme Harpignies, par exemple.

 

Avec le temps, les tailles vont se discipliner, devenir plus régulières. Et il accentue la part des espaces non gravés, même si parfois au tirage il continue de « saucer », de laisser ici ou là un voile d’encre pour donner une tonalité grise presque uniforme, censée mettre en valeur les parties éclairées.  Finalement, par une espèce de renversement, la lumière au lieu d’être donnée par le contraste d’un noir dominant avec des espaces blancs, finit par être donnée par la domination du blanc sur le noir, comme on peut le voir en comparant par exemple Le gué de 1845 et Le pêcheur et son chien de 1877.

 


On pourrait noter aussi qu’il tend à la simplification : le dessin se réduit à l’essentiel, avec moins de détails dans les premiers plans, et plus de légèreté, particulièrement dans les trop rares pointes sèches (voir ci-dessous le n° 55 intitulé Croquis), une pratique assez exceptionnelle dans ce milieu du XIXème siècle. Il aboutit ainsi à une manière qui le fait devancer les estampes impressionnistes d’un Braquemond, ou d’une Berthe Morisot dans les années 80, pour parler de ceux qui ont gravé des paysages. Certaines de ses dernières planches, en 1877, sans être impressionnistes à proprement parler à cause de ses motifs - radicalement traditionnels - tentent aussi de rendre davantage les effets de lumière.

 

 

Son goût jamais démenti pour la gravure  - première gravure en 1829 (note correspondance 15 II 74) et dernière probablement en 1877 -  et son goût même de « la cuisine », son choix de tirer lui-même à petit nombre d’exemplaires sur sa presse personnelle, sa pratique de la pointe sèche, son goût pour des papiers divers et rares, ses variations d’encrage, autant d’attitudes qui donnent ainsi à son travail une valeur assez remarquable, voire exceptionnelle.

 

Son oeuvre gravé, aujourd'hui trop mésestimé, comporte selon le catalogue de P. Prouté - C.E. Bidon de 82 pièces, une d’entre elle, la n°76, devant en réalité être attribuée à Ponthus-Cinier, dont la signature manuscrite figure sur un état de travail (collection particulière). 

De son vivant, ses estampes ont été défendues, à partir de 1855-60 par Philippe Burty dans ses comptes rendus du salon de la Gazette des Beaux-Arts, ce qui valut à H. Allemand un surcroit de reconnaissance.

L’examen d’un lot d’estampes offert par H. Allemand en 1876 à son médecin le docteur Tripier en signe de reconnaissance, permet d’ajouter quelques éléments au catalogue de Bidon-Prouté.

Nous pouvons signaler d’abord une eau-forte non cataloguée, une reproduction d’après un tableau du Louvre intitulé  Les moulins, de Hobbema (voir ci-dessous)

D’autre part, on peut aussi ajouter des précisions topographiques aux estampes du  catalogue publié : 

- la n° 12 Intérieur d’un bois est intitulée « à Rochecardon 1834 », la n° 19 Le repos sous les arbres « à Craponne », la n° 44 Le mur de pierre, « à Francheville », la n° 66 est titrée « Pont de Cheruy »

- On peut enfin corriger une erreur : la n° 22  est datée 1863 et non de 1873. 

On a déjà signalé que la planche n° 76 Les pêcheurs, non signée et attribuée à Allemand, est en réalité de Ponthus-Cinier (comme l'indique un exemplaire à la signature manuscrite).

 

 

Note 1 : Dans une autre lettre du 25/01/73, les chiffres donnés sont de 70 et 45.

 

 

Bibliographie:

Allemand, Causeries sur le paysage, Perrin et Marinet, 1877, Lyon

Audin et Vial, Dictionnaire des artistes et ouvriers d’art de France, (Lyonnais).

Bénézit, Dictionnaire

Catalogue  d’exposition  Paysagistes lyonnais,1800-1900, MBA,  juin septembre 1994, notice de E. Harduin-Fugier.

Bibliothèque J. Doucet, Correspondance d’artistes avec A. Bruyas, vol.1 MS216-01 (30 lettres du 26/12/67 au 26/06/76).

L. Lagrange, « Hector Allemand et Alfred Bruyas : une correspondance inédite » in Bulletin des musées et monuments lyonnais, 1992, n°1, p. 24 à 43.

M.-F Perez, "L'eau-forte à Lyon, de de Boissieu à Appian", Nouvelles de l'estampe, n°148-149, 1996.

P. Prouté et C.E. Bidon, « Louis Hector Allemand, peintre graveur lyonnais », in Nouvelles de l’estampe, n°33, mai-juin 1977.

A. Vingtrinier, Notice sur Hector Allemand, Lyon Mougin - Rusard, 1887.