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Noir et Blanc

Dans le cadre de la biennale Arts en lien 2018, à l’espace La Bâtie de Saint Laurent d’Agny, entre Mornant et Brignais, l’exposition « Noir et blanc » réunit vingt-trois artistes choisis par le graveur Philippe Tardy - dont on a parlé ici -  qui exposent leurs travaux. Dessins, gravures, peintures, sculptures, où rayonnent le noir et le blanc, fil conducteur de l’événement. 

Montrer de l’art en noir et blanc dans une société qui baigne dans l’exacerbation et la diversité des couleurs, est un pari risqué, dont il faut féliciter l’association locale organisatrice, Le lien de Saint-Laurent, et les animateurs de La Bâtie. Un pari d’ores et déjà réussi. 

D’abord, par ses têtes d’affiche qui en signalent l’ambition : Jean Raine, dont la galerie Descours a tout récemment présenté à Lyon et au salon Art Paris Art Fair une sélection importante d’oeuvres dans une exposition intitulée «  De CoBra à l’expressionnisme abstrait », présent ici avec une immense et représentative encre de chine sur papier marouflé. Et Fred Deux, dont on voit quelques gravures, et qu’une rétrospective récente du Musée des Beaux-Arts de Lyon a mieux fait connaître.

Christian Lignais, Mouvement brownien.
Christian Lignais, Mouvement brownien.

Ensuite, par la diversité des techniques réunies : dessin à la mine de plomb, à l’encre de chine, à l’acrylique, gravure à l’eau-forte, à l’aquatinte, à la pointe sèche ou au burin, lithographie, monotype, photogravure, photographie, huile, sculpture en grès, en plâtre ou en bronze. 

Enfin, par la qualité générale de l’ensemble. On regarde avec plaisir et intérêt les sculptures de Christian Lignais, nourries de références, pleines de fantaisie et de tragique, figées dans le cri d’un équilibre précaire ou au contraire massivement ancrées dans le sol, donc humaines ;  les grès noircis de Lydie Thonnerieux, corps graciles et fragiles, coeurs ouverts et meurtris, bras et doigts démesurément étirés, figures arrondies de la patience mélancolique ou de l’interrogation  douloureuse ; les longilignes jeunes filles, de Nathalie Bouzon, d’un blanc mat (plâtre sur armature), où sourdent, ici ou là, comme une corrosion, des traces légères de vert-de-gris, saisies dans des attitudes si banales.

 

Parmi les dessins, on reste ébahi devant la virtuosité élégante et primesautière de Juliane Fuchs, ou les instantanés hyperréalistes de Raphaëlle Gonin. Sur les papiers d’Isabelle Jarousse - qu’elle crée elle-même et qui se font tissus, linges en tas -  les formes prolifèrent : objets, animaux comme tirés d’un imaginaire médiéval, silhouettes et visages, dans un entremêlement silencieux, mouvant et finalement inquiétant. On suit, fasciné, le trait ondoyant et spiralé, où se perdent les êtres de Bruno Guedel, comme on se perd devant les portraits aux nuances de gris de Thierry Fabre, tout en molles enflures, en expansions flasques. 

Seror, Villa N°5, état 2
Seror, Villa N°5, état 2

Louis Seror a joué le jeu du noir et du blanc en proposant une série à l’acrylique, le portrait d’une maison à la fois naïve et contemporaine, qu’on voit naître et changer, allant du simple trait à la couleur, en passant par le noir et blanc. Les huiles de Maurice Sage montrent des formes émancipées de tout souci de représentation, mais sans doute évocatrices de paysages singuliers ou d’univers différents. Le photographe Christophe Guery s’intéresse aux architectures contemporaines dont la lumière magnifie les formes ou les nimbe, dans un tremblement de crainte religieuse, de sacré.

Jean-Marc Reymond, Troublante interprétation.
Jean-Marc Reymond, Troublante interprétation.

Onze graveurs occupent les cimaises, dont on découvre avec bonheur les différents univers. 

 Les travaux d’Isabelle Fraysse s’attachent à faire émerger d’espaces mortellement figés, à peine connaissables, des présences vivantes.

Les feuilles épurées de Jean-Philippe Bui-Van évoquent de manière elliptique des lieux, des choses vues, dont il extrait la poésie et la beauté. 

Dans les si singuliers dessins et gravures d’Anya Belyat Giunta, l’espièglerie côtoie l’étrangeté : personnages formés ou informes, presque poupées, filles-enfants, ou démones dont on ne voit parfois que les yeux.

Les burins nets et profonds de Jean-Marc Reymond, aux si beaux noirs, ouvrent la porte à la rêverie sur la nature, végétale ou minérale, de la femme. Les lithographies, pleines d’âme, de Bernard Rouyard, montrent des personnages conversant dans un intérieur clair obscur, une lisière de bois embrumée, un paysage plus large encore, et soudain affleure la gravité inquiète de l’instant.

Cinq estampes, très différentes, de François Dupuis suffisent pour être persuadé qu’on se trouve ici devant une oeuvre solide : quel que soit le motif, la justesse du dessin, l’efficacité de la taille et des effacements, les nuances nacrées du noir et du blanc, conduisent à des représentations vigoureuses et parlantes. 

Les Univers de Vincent Brunet, avec leurs découpes inventives, brillants et froids comme les engrenages du temps, trouvent leur équilibre dans des formes circulaires, de tons différents, qui s’articulent avec des lignes horizontales par l’alternance du noir et du blanc. C’est simple, en apparence, et ça marche.

Les si fines et petites eaux-fortes ou pointes sèches de Claire Borde s'emparent de l’imaginaire des esprits intérieurs. Miracle du noir et du blanc, traces et formes qui s’accordent tant à la poésie ! Et interrogation toujours renouvelée : comment peut-on dire tant de choses en si peu de traits ?

Les gravures de Vesselin Vassilev satisfont, avec un luxe de précision réaliste et de beauté classique, l’appétit des amateurs de récits ; et là surgit tout à coup un fantastique qui fait glisser du réel au surnaturel.

 

Et, bien sûr, les paysages quasi oniriques de Philippe Tardy, empreints d’une nostalgie heureuse et apaisée, toujours aussi poétiques, même dépourvus ici de leurs teintes bleutées ou blondes.

 

Dessin Guarani.
Dessin Guarani.

C’est ce dernier, qui les ayant rencontrés, a souhaité que soient présents aussi des artistes Indiens Guaranis, d’une région reculée et pauvre du Paraguay, à travers des dessins au stylo noir de leur environnement familier, dessins à proprement parler merveilleux, dont la stylisation simplificatrice atteint l’universel. 

 

Des oeuvres d’une grande diversité de techniques, d’émotions, de personnalités, d’univers. Et une exposition d’une très grande qualité, dont on peut souhaiter qu’elle soit renouvelée.

 

PB

Biennale Arts en lien,  « Noir et blanc »

Saint Laurent d’Agny, du 28 septembre au 14 octobre

En semaine : 17-19 heures.

Mercredi et vendredi : 14-19 heures

Samedi et dimanche : 10-12 et 14-19H.

Espace La Bâtie, 549 Route de Mornant, 69440 Saint Laurent d’Agny.

Plus d’infos sur www.lesartsenlien.fr 

facebook : lesartsenlien

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Commentaires: 1
  • #1

    FLEURY Jean (mardi, 09 octobre 2018 08:40)

    Bravo et merci pour un tel article, concis, précis et puissant. En plein accord avec la diversité et la qualité des oeuvres. C'est un très bon accompagnement de cette belle exposition et du choix réussi de Philippe Tardy !