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Une famille d'artistes...

L’histoire de l’art du XVIème au XVIIIème siècle recense de nombreuses familles de peintres, les Van Loo, les Parrocel, les de Troy, les Restout, ou de graveurs comme les Cochin, les Lepautre, les Audran… Ce qui intéresse évidemment l’historien d’art, ce sont bien sûr les qualités ou faiblesses des artistes successifs en question, et pas leur famille. 

Et pourtant que d’aventures ! que de drames ! Rien de tel pour se donner une idée de la vie d’une famille au XVIIIème siècle. Qu’on en juge !  voilà celle des Manglard : ils sont peu connus, et n’ont laissé le souvenir que d’un peintre graveur, Adrien Manglard

 

Acte 1 

Cela commence par un mariage. Nous sommes à la fin du XVIIème siècle, sous le règne du grand Louis XIV.  Le premier personnage qui nous intéresse est Edme Manglard. Il est parisien d’origine, mais, à l’âge de trente ans, il vit à Lyon, déjà installé comme peintre. Le 30 mai 1693, il s’y marie à l’église Saint Michel d’Ainay  avec une Catherine Rose Dupérier, qui n’est pas lyonnaise non plus, mais avignonnaise, fille orpheline d’Antoine Dupérier, qui fut libraire, et d’une femme au nom aussi remarquable que poétique, Esprite de Tassi, mariée alors en secondes noces avec un peintre avignonnais, Pierre Savournin.

 

Acte 2 

Mais 1693-1694, c’est aussi le temps de la famine - deux mauvaises récoltes successives de blé, deux printemps secs et un hiver terrible -  qui va durer deux ans : on meurt en masse : 1,7 million de morts, essentiellement les pauvres, comme il se doit. Le jeune couple résiste et n’est pas inactif : cinq enfants vont naître. D’abord une fille, Anne, en avril 1694, dont on ne sait rien. Puis Adrien, né l’année suivante, le 10 mars 1695, notre héros. Son parrain : Adrien Van der Cabel, peintre graveur hollandais, ayant fait le voyage de Rome, installé à Lyon depuis 1668. C’est cet Adrien Manglard qui va devenir le plus célèbre peintre de marines de la Rome de la première moitié du XVIIIème siècle et un fameux collectionneur : 7500 dessins des plus grands maîtres italiens et français, Michel-Ange, Vinci, Raphael, et Poussin, et Bourdon, et Le Lorrain, entre autres… Puis viennent au monde François, mort en bas âge, Daniel le 17 janvier 1700, dont le parrain est le peintre Daniel Sarrabat (1666-1746), et Pierre le 16 novembre 1702. Les garçons sont bien sûr appelés à devenir peintres. Une belle famille dans des années difficiles, que les historiens qualifient de « petit âge glaciaire » (1690-1710), caractérisé par des hivers très rigoureux et des étés pourris. Autres soucis climatiques.

 

Acte 3 

En attendant, il faut nourrir ce petit monde, et le métier, hier comme aujourd’hui, n’assure pas des fins de mois sereines. Pour cette raison ou pour une autre peut-être, en 1707, le 16 février, Daniel et Pierre, les deux petits derniers, 5 et 7 ans, sont remis par le curé de leur paroisse au bureau de l’Hôtel-Dieu de Lyon. Et à l’âge réglementaire de sept ans, respectivement en 1708 et 1710, ils passent à l’Aumône générale, sise à l’hôpital de la Charité, qui prend donc en charge leur entretien et leur éducation. Abandonnés par leurs parents, donc. Pratique courante à l’époque, on le sait. Jean-Jacques Rousseau a abandonné les siens entre 1746 et 1752. On ne sait pas ce que devient alors Daniel. Mais Pierre est placé dans une famille paysanne de Saint-Appollinaire, au nord-ouest de Lyon, entre Tarare et Amplepuis, village de 200 âmes aujourd’hui. Et on retrouve sa trace en 1732, pour son mariage à Paris avec une Jeanne Moquet, domestique. A sa mort en 1786, il est connu comme maître doreur argenteur sur métaux. On sait qu’il a gardé des relations au moins épistolaires avec son frère Adrien. 

 

Acte 4

Les parents, eux, ont quitté Lyon et gagné Avignon, où la jeune mère a sans doute gardé de la famille. La maternité est une fatalité : en 1708, arrive un autre enfant, Claude. Deux ans encore, et en 1710, Catherine Rose met au monde le dernier, Jacques Vincent. Encore un garçon. Qui meurt au bout de dix mois. Adrien, quant à lui, poursuit son apprentissage de peintre, et Claude va bientôt commencer le sien. Adrien apprend auprès du plus célèbre maître de Provence, le frère Imbert. Et en 1715, à 20 ans, il décide d’aller parfaire son métier à Rome. Il y vient peut-être pour quelques années, comme beaucoup de peintres de son temps. Il y connait un tel succès qu’il y reste jusqu’à sa mort en 1760. On ne sait pas s’il est revenu une fois en France. 

 

Acte 5

A Avignon, la vie de famille continue, tant bien que mal. 1720, la grande peste de Provence (120 000 morts en deux ans, un habitant sur quatre dans la ville). Dans un dénombrement de la paroisse Saint Agricol de 1721, Catherine Rose est désignée comme « cheffe de famille ». Elle n’est pas considérée comme « nécessiteuse » mais elle reçoit « sa part de pain et de vin ». Son mari, Edme Manglard, a quitté le pays, pour une destination inconnue. Daniel, revenu auprès de sa mère, est devenu lui aussi peintre, comme le dernier né, Claude. Qui meurt subitement à 18 ans en 1726. 

En 1728, c’est au tour de Catherine Rose de disparaître. Alors Daniel s’éloigne : il s’embarque pour les « isles de l’Amérique sans avoir depuis donné aucune nouvelle de son existance (sic) et des pays où il a fixé son séjour » écrit-on en 1760, quand on cherche les héritiers d’Adrien Manglard. On ne trouvera que le parisien Pierre Manglard pour bénéficier de la vente des biens de son frère, passés en vente publique à Paris en 1762.

 

Voilà qui donne à penser. 

 

Les faits et événements évoqués ci-dessus sont tirés pour l’essentiel d’un dossier de recherches d’Olivier Michel, Adrien Manglard, peintre et collectionneur, Mélanges de l’Ecole française de Rome, tome 93, n°2. 198,  pp. 823-926.

 

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