Avant guerre, Henri Béraud tient un magasin d’antiquités rue du Plat. Quelques peintres de ses amis se réunissent parfois chez lui ; on grogne, on rêve, on refait le monde. Ils évoquent souvent la fondation d'un nouveau salon. Car rien ne y semble avoir changé depuis trente ans. Tout y est ficelé d’avance, ronronnant. Il faut faire trembler tous ces messieurs trop bien installés, les gens du Griffon, les banquiers, les médecins, qui depuis toujours, achètent s’ils escomptent une bonne affaire. Il faut s’ouvrir, trouver une nouvelle clientèle.
Et puis la guerre arrive, s’installe dans la durée, finit par s'achever.
Le Salon, qui s’est arrêté deux ans, a réouvert en 1917, et tout recommence. Béraud, leur héraut, étant parti pour Paris, ils se sentent encore plus seuls. Ils se retrouvent à la brasserie du Nord où les demis de Pilsen s'ajoutaient aux pots de beaujolais. Le Salon d’automne 1920 se prépare, encore une fois ouvert aux seuls artistes locaux. Clairement, ce qui se passe ailleurs n’intéresse pas, disent-ils. Et même, on a l’impression que rien ne s’est passé depuis l’impressionnisme. On est prompt à l'indignation, on rue dans les brancards, on bâtit des projets. Il y a là les anciens, entre trente et quarante ans, les Sénard, Godien, Pourchet, Bas et les plus jeunes, qui viennent de sortir des Beaux-arts, Laplace, Ponchon. Il est arrivé plus d'une fois qu’ils rentrent à la maison avec les balayeurs du matin, et les blanchisseuses de la Saône.
Marius Mermillon est négociant en vins, mais s'intéresse déjà à la peinture. Il habite les pentes du mont Cindre, avec vue sur la plaine de la Saône et songe à fonder une revue artistique et littéraire. Il les pousse à se lancer. Le Salon d'automne ? On ne veut plus y aller. « Eh bien, n’y allez plus ! ». Pourtant comment faire autrement ? Un soir ils décident qu’ils iront encore mais feront en même temps une exposition de leurs travaux, pour bien marquer leur différence. Ils s’inventent un nom, les Ziniars, jouant par ironie sur les mots ignare et zinnia, la fleur. La peinture de fleurs à laquelle on réduit la peinture lyonnaise. Des fleurs, ils n’en veulent plus.
Le marchand Alfred Poyet, qui expose dans sa galerie parisienne de la rue de la Béotie, des peintres modernes, vient d’ouvrir à Lyon la galerie Saint-Pierre, située au 10 rue de l’Hotel de ville (aujourd’hui rue Edouard Herriot), au rez-de-chaussée du bâtiment du palais Saint-Pierre. C’est l’occasion de se lancer. Ils sont bien accueillis et ils font bien les choses : pour diminuer les frais de l’exposition et présenter en même temps la liste des oeuvres exposées, ils imaginent un album de douze bois gravés, tiré à deux cents exemplaires, vendu pour presque rien. L’exposition a du succès. On trouve l’album intéressant.
Ils récidivent donc et l’annoncent dès février 1921 avec un nouvel album de dix pochoirs.
Bref quatre mois plus tard, en avril 1921, Poyet renouvelle l’expérience, cette fois avec des invités parisiens, Derain et Léger qui présentent l’un un paysage, l’autre une composition cubiste intitulée Trois Personnages. Là encore, ils publient un nouvel album de bois gravés, deux fois plus cher que le premier bien que tiré à deux cent trente sept exemplaires. On sent bien qu'il y a de la demande, vu qu’on leur réclame encore le premier. On se raconte même qu'un amateur, un officiel du Salon d'automne, fort riche, qui a négligé d'acquérir le premier album, veut l’obtenir à l'ancien prix en qualité de mécène bien connu des artistes, et qu’on lui a répondu : « Pour vous monsieur M…, ce sera quinze francs ! ». « Si les amateurs sont de ce calibre, jugez de la générosité des indifférents », écrit Mermillon, dans le Mercure de France.
Emile Didier vend pour 600 francs un Paysage de 1919, Jacques Laplace une nature morte cubiste à 500 francs. C’est plus qu’un Braque acheté la même année pour 240 francs à la vente Kahnweiler !
Succès relatif. Pourquoi les gens viennent-ils ? Pour eux ou pour les Parisiens dont on dit tant de mal dans la presse ?
Le groupe des Ziniars expose encore trois fois, une fois par an, jusqu’en mars 1924. La venue en 1922 de Modigliani et d’Othon Friesz, de Derain et de Matisse en 1923, et en mars 1924 de Renoir et de Bonnard attire un peu le public, mais les ventes se font rares. Il faut vivre, l’aventure doit s’arrêter. Et les membres du groupe sont d’ailleurs si différents. C’est la dispersion.
L’expérience n’est pas inutile. Grâce à Marius Mermillon, on jette les bases du Salon du Sud-Est, qui voit le jour en 1925 pour concurrencer le Salon d’automne.
Pour l’amateur de gravures, et en général pour l’histoire de l’art à Lyon, ces trois albums sont la trace éphémère la plus visible et réussie de l’esprit de l’avant-garde picturale.
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