Ce sont des taches verticales, irrégulières, s’évasant, d’un noir très profond couvrant partiellement un gris chaud, plutôt rassemblées à partir du coin inférieur gauche du carré de l’estampe ; les entourent d’autres taches, plus petites, à peine visibles, et laissant vides les autres angles.
Au plus près du regard, au bas de l’image, des traits de pointe, ceux-là bien visibles, plus nets, disposés dans un alignement, font une alternance de verticales et d’obliques, dessinant comme une limite.
Sur le bas de l’estampe encore, une multitude de traits verticaux si fins qu’on les devine plus qu’on ne les voit, traces de griffures effacées, ennuage le blanc du papier.
Au centre, épargné par la pointe, dans ce presque cercle, un vide plus vide que les autres, une blancheur plus prononcée, qui fait ressortir et trembler les ombres.
Taches, traits, vides, tout sert à l’expression du mouvement, du tourbillonnement. Il s’agit d’une pointe sèche et fleur de soufre, imprimée sur un papier japon, qu’un souffle soulève. La photographie n’en rend pas le miroitement ni l’éclat. La plaque de métal fait 14,6 x 14,6 cm.
La lettre indique le nom de l’artiste, la numérotation, le titre et la date : « Christine Crozat 2/7 Paysage du TGV (6) 1992 ».
Je pense à cet extrait d’une lettre, datée de 1837, de Victor Hugo à sa femme :
Anvers, 22 août, 4 heures du soir.
Je suis réconcilié avec les chemins de fer ; c’est décidément très beau… J’ai fait hier la course d’Anvers à Bruxelles et le retour. Je partais à 4 heures 10 et j’étais revenu à 8 heures 15, ayant dans l’intervalle passé cinq quarts d’heure à Bruxelles et fait vingt lieues de France.
C’est un mouvement magnifique et qu’il faut avoir senti pour s’en rendre compte. La rapidité est inouïe. Les fleurs du chemin ne sont plus des fleurs, ce sont des taches ou plutôt des raies rouges ou blanches ; plus de points, tout devient raie ; les blés sont de grandes chevelures jaunes, les luzernes sont de longues tresses vertes ; les villes, les clochers et les arbres dansent et se mêlent follement à l’horizon ; de temps en temps, une ombre, une forme, un spectre debout paraît et disparaît comme l’éclair à côté de la portière ; c’est un garde du chemin qui, selon l’usage, porte militairement les armes au convoi (1). On se dit dans la voiture : « C’est à trois lieues, nous y serons dans dix minutes. »
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gérard Klein (vendredi, 27 mars 2020 12:10)
Là, je reste en rade, plus intéressé par le texte de présentation de l’œuvre que par l’œuvre elle même, à laquelle je ne suis pas sensible - pardon, malgré le texte toujours beau et puissant du grand Hugo.