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Vaine interrogation

La semaine dernière, j’évoquais en passant Turner. Le catalogue de l’exposition « Turner en France » (Centre culturel du Marais, 1981) présente cette vue de Lyon sur laquelle on peut s’arrêter. Elle mesure 24,1 centimètres par 30,5. Probablement créée dans les années 1845, d’après les spécialistes. On sait par ailleurs que la dernière visite de Turner à Lyon date de 1829, à son retour de Rome.  

On n’a aucun dessin préparatoire comme ceux que l’on trouve dans les carnets de croquis, même s’il s’est référé sans doute à des dessins faits lors d’un retour d’Italie au début de 1820, qui montre des vues de la ville avec le fleuve et des ponts à arches multiples. Sur une page, il note même les « onze arches » d’un pont unique.  Mais ici ce n’est pas une vue topographique de la ville. Plus une évocation poétique, lyrique même.

Si lyrique qu’il est difficile pour nous aujourd’hui de nous y retrouver. Qu’est-ce que je vois ? Sous la lumière aveuglante du plein soleil de midi, une église à deux tours et une flèche, une barge de blanchisseuses (ou un moulin) comme il en existait sur la Saône et le Rhône, où l’on devine des personnes en activité, reliée à la rive par une passerelle de bois, un pont de pierre, le pont du Change (qui se trouvait entre Saint Nizier et la place du Change, démoli en 1842), et de chaque côté des immeubles esquissés, plus lointains à droite qu’à gauche. A priori donc une vue de Lyon prise du Sud, d’un endroit situé rive droite au niveau de l’actuel pont Bonaparte. On croit reconnaître au premier plan à gauche, le bâtiment qui abrite aujourd’hui la bibliothèque Saint-Jean avec sa tourelle à l’angle de la rue Adolphe Max et du quai. Bon. Mais le soleil ? Et cette église avec deux tours et ce qui semble une flèche, Saint-Jean vraiment ? cette barge qui n’en finit pas ?

En réalité, peu importe. Il faut surtout se laisser porter par la magie flottante des formes et des couleurs. Et je l’avoue, avec ce Lyon-là, je vole vers l’Italie, vers Rome, dont je retrouve les teintes d’ocre et de carmin, même si la Saône n’est pas le Tibre.

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Commentaires: 4
  • #1

    gérard Klein (jeudi, 26 mars 2020 15:49)

    "En réalité, peu importe;"... Cela me parait raisonnable...
    Ancien géographe piqué au vif dans l'affirmation de l'aptitude à lire un paysage, et par ailleurs peu familier de Turner en dehors des "best-sellers" des certains musées, je n'ose imaginer qu'il ait pu confondre le nord et le sud. En effet, si le point de vue est au Sud vers le nord, comment croire que Turner n'ait pas marqué, même symboliquement, le barrage d'horizon de la colline de la Croix-Rousse.. .En tout cas , le "soleil" de midi a peu de chance de se trouver à l'amont du Pont au Change. A l'inverse,en vue vers le Sud, le soleil de midi est bien bas sur l'horizon... et la cathédrale a changé de rive, tout comme sa masse bien peu proportionnée à son environnement; enfin, les tours sont disposées côté cours d'eau alors que c'est l'inverse en réalité; Je ne veut pas être péremptoire mais même l'architecture du pont qui barre la Saône ne correspond pas aux illustrations anciennes des livres d'histoire ((par ex "Histoire de Lyon" de Bayard et Cayez, tome II" du XVIe à nos jours" ou encore "l'Atlas Historique du Grand Lyon, formes urbaines et paysages au fil du temps" de Jean Pelletier et Charles Delfante), que j'ai rapidement feuilletés pour vérifier mon sentiment.
    Il peut y avoir une autre explication, aussi plausible que d'autres: Turner a si bien été accueilli à Lyon et sa nuit si bien arrosée, et sans doute plus, qu'il a perdu la boussole et le sens des proportions. On a ainsi le choix entre la représentation d'une ville vertueuse -qui n'est pas Lyon- et celle d' une ville délurée dont l'artiste ne se souvient plus!
    J'aime bien le regard tourné vers l'Italie , et je le sens bien ce coup d’œil sur le Tibre du côté du Transtevere ...
    Dommage pour Rhône Estampe, mais Lyon a encore suffisamment de secrets.

  • #2

    PB (jeudi, 26 mars 2020 23:08)

    En ce qui concerne le pont, on peut discuter. Mais la cathédrale Saint-Jean ne ressemble pas en effet à celle que nous connaissons. Sachant que Turner, pour ce qui est des aquarelles achevées comme celle-ci, travaillait, sur demande d'un client, à partir de ses carnets de voyage, je fais l'hypothèse, que pour une raison ou une autre, il a emprunté sa cathédrale ailleurs : j'ai bien l'impression d'avoir ici Notre-Dame... de Paris.
    En fait cette aquarelle pose une de questions fondamentale de l'art, la question de la vérité, de la fidélité au réel, dans la représentation et la création, et même au XIXème siècle. Et je m'étonne qu'aucun de mes lecteurs artistes n'ai pris la peine de nous incendier pour tenir des propos aussi terre-à-terre.

  • #3

    J-Paul Ducrest (samedi, 28 mars 2020 17:50)

    Il est bon de rêver et de s’imaginer que cette oeuvre de Turner soit une évocation de Lyon, mais il est alors nécessaire de retourner l'image en supposant que la photo représente le tableau à l'envers.
    La crédibilité de l'hypothèse en serait considérablement augmentée puisqu'alors la cathédrale retrouverait la rive droite de la Saône et le soleil figurerait dans le sud du ciel.
    Mais le premier pont du Change n'a jamais eu onze arches mais huit.
    Remplacé par un nouveau pont de pierre bien endommagé par nos visiteurs en 1944, il a résisté jusqu'en 1974, année où son faible gabarit gênant la circulation fluviale a entraîné sa destruction.
    Il reste un tableau typique du Turner sur ses vieux jours, subtil et lumineux, et l'important n'est il pas qu'il incite au rêve ?

  • #4

    PB (samedi, 28 mars 2020 22:57)

    Il s'agit bien de Lyon, je t'assure, enfin pas moi, mais Turner lui-même.
    Excellente idée de renverser l'aquarelle, je n'y avais pas pensé, cela rétablit la logique spatiale. Mais cela ne marche pas mieux, pour ce qui est de Saint-Jean. Et il n'y a pas de pont en-dessous de Saint-Jean.