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Gladys Brégeon, ou des épreuves à «imageouïr»...

Visite de l’exposition de deux artistes femmes, Gladys Brégeon et Natasha Krenbol au Polaris de Corbas.  Je me suis peu attardé, à tort sans doute, devant les toiles de Natasha Krenbol, pleines d'énergie vitale, et quasi primitives, parce que venu pour les gravures de Gladys Brégeon.

 

D'elle, je ne connaissais pas les installations ou les photographies, exposées là en même temps que les gravures, déjà vues en partie à différentes occasions - elle travaille à l’atelier Alma, à Villefranche-. Regarder là, en assez grand nombre rassemblées, ces oeuvres de différents types peut donner une idée de la recherche de cette artiste, graveure, photographe et poète singulière. 

Singulière par la radicalité intranquille d’un travail poétique apparemment abstrus, et d’une gravure à l’austérité et à la rigueur dépouillées. Artiste difficile, tout en retenue, dont la recherche peut faire hésiter sinon hérisser.

Pages extraites d'un livre d'artiste, "L'Œ", 18x24
Pages extraites d'un livre d'artiste, "L'Œ", 18x24

Singulière aussi parce que le geste graphique, et la gravure elle-même, intimement liés au langage, dans des calligrammes par exemple, semblent même procéder du verbe par une alchimie mystérieuse. Dans le roman La Disparition de Perec, l’absence de la lettre « e » signe celle de cet « eux », les parents disparus dans les camps. Gladys Brégeon, quant à elle, à l’inverse, sature son travail de la présence de l’ « o », ou de l’ « oe ». Que signifie donc pour l’artiste, l’omniprésence de cet « oe »,  « eux » encore ? ou autre chose ? Devenus images, il sont l’oeil et/ou l’oeuf, le regard (et donc le je) et la naissance (et donc le sexe et le corps) ? Comme l'o devient l'objectif photographique, ce par quoi l'on voit, qui est aussi l'objectif de l'oeuvre, qu'on cherche à obtenir. A n’en pas douter, tout le travail appelle une lecture psychanalytique à laquelle on ne se risquera pas. 

Faisons l’hypothèse que l’artiste dont l’oeuvre interroge, comme on dit, l’image et son spectateur (l’oeil), se souvient que l’imago du latin, signifiait aussi bien les portraits des ancêtres, disposés en belle place dans la demeure, que les ombres fantomatiques des morts. J’aime assez l’idée que l’image, et donc les gravures montrées ici, s’attachent à faire sentir la présence des absents.

 

Ontoplogie VII, la focale, 2018, gravure, pointe sèche et crayon,  75 x 105
Ontoplogie VII, la focale, 2018, gravure, pointe sèche et crayon, 75 x 105

 

Les titres des livres d'artiste (Naufrage, Macula res maculae…), les photographies (Narcisse, ou Baptême) dans lesquelles l'image s’efface comme sous l’effet d’une décomposition physico-chimique, les planches anatomiques, les encres de chine (les Moelles), les installations, disent nettement les obsessions troublantes et dérangeantes de l’artiste. Non, l’univers de Gladys Brégeon ne dispose pas a priori à l’émerveillement ou à la réjouissance. 

 

Mais dans son Nouveau Beche elle ou l’art de conjurer (référence ludique au fameux manuel scolaire de conjugaison, le « Bécherelle »), les mots-valises inventés tels que «  imageouïr » (= regarder), ou  «imagésir» (= être en image), à l’inspiration oulipienne, apportent de la légèreté à l’ensemble et le mettent à distance grâce à l’humour ; le présent conjugué de ce premier verbe n’est pas, selon la poète, « j’imageouïs », comme on pourrait s’y attendre, mais « j’imageois », qui dit de manière claire l’émotion que procure l’image. Peut-être même est-ce une invitation à regarder de manière différente tout le reste ? 

PB

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