Il est des oeuvres qui d’emblée nous parlent plus que d’autres, qui font vibrer quelque corde sensible, intime, parfois même encore inconnue, et nous laissent ainsi tout pantois, ébaubi, comme on disait dans des temps anciens, c’est à dire étonné et admiratif. Ainsi en est-il pour moi des travaux de Claire Borde.
Originaire de Rennes, elle a travaillé à Nantes, s’est installée à Lyon, vit aujourd’hui entre Forez et Lyonnais. La Maison des arts contemporains de Pérouges expose pour un mois ses peintures, dessins et gravures. Les formes sont carrées, les formats petits, - trop petits diront certains qui ne sont pas pour la conversation intime - ; quelques unes des peintures, sont composées d’un geste plus ample, engageant tout le corps, sans démesure pourtant. Grâce et séduction au premier regard ; couleurs pâles comme suspendues dans le vide de la toile ; enchevêtrement de lignes suggérant le souvenir d’un paysage dans les gravures, qui invitent à la méditation. Cela respire la sérénité et le silence, la joie et la lumière, la fraîcheur et la chaleur de la vie, le lent passage du temps
L’exposition s’intitule joliment - on dirait du Paul Eluard - « Le temps traverse », titre qui annonce la couleur : l’oeuvre de Claire Borde est d’abord éminemment poétique et c’est au Baudelaire de l’ « Invitation au voyage » qu’elle fait penser :
« Tout y parlerait
A l'âme en secret
Sa douce langue natale. »
Une invitation au voyage intérieur en réalité. Ses motifs relèvent lointainement du « paysage » : c’est un lieu banal et familier, aperçu, noté peut-être parce qu’un rien, éclat de lumière ou masse d’ombre, reflet d’eau, contraste de couleurs, lignes, a attiré le regard de l’artiste, s’est ancré secrètement dans sa mémoire, au point de resurgir sur la toile ou la plaque au moment du travail, des mois ou des années plus tard. C’est ainsi que le temps traverse la blancheur de la toile, du papier, ou le vernis du cuivre, y dépose son bruissement, sous la forme de lignes délicates et ruisselantes, comme les cheveux dépeignés d’Ophélie, ou de « flaques de couleurs » transparentes, pour reprendre un des mots de l’artiste, sur la blancheur laiteuse de la toile. Au-delà, c’est la permanence des choses et de l’être qui se trouve ainsi suggérée, et celle de la peinture réaffirmée.
Souvent aussi les titres des paysages ou des séries, « D'eau et de lumière », « Au fil de l'eau et autres rêveries », « Jardins après la pluie », soulignent les sources intérieures du travail de Claire Borde : sa matière imaginaire est l’eau ; non pas l’eau dormante ou stagnante des lacs et étangs, pourvoyeuse de troubles et de mélancolie, ni celle de l’océan et de ses violences soudaines. Mais avec elle, on se tient au clair bord de l’eau : l’eau vive et lumineuse, cascadante parfois, de la rivière, ou l’eau immobile mais fugace, car aspirée par la terre ou asséchée par l’air, de la pluie répandue sur le sol. Il ne s’agit pas de peindre l’eau, mais de traduire plastiquement ce qu’elle a de souple, de mobile quand elle court ou d’immobile quand elle est miroir, de transparent, de vaporeux, de subtil. De là viennent sur la toile des tensions retenues, entre les formes de couleurs diluées et les tracés onduleux ou géométriques, qui donnent une énergie qui séduit ; dans les estampes, entre les effets de la pointe sèche, des grattages et essuyages successifs, et la finesse si nette des traits innombrables de l’outil sur le vernis.
Tout cela est bien classique, il est vrai. La simplicité de la recherche, la modestie des formats, la patiente construction de l’œuvre, - qui garde parfois trace des effacements ou recommencements successifs-, la justesse du résultat, font une œuvre d’inspiration traditionnelle mais une œuvre singulière. Si « contemporain » veut dire entre autres choses très grand format, recherche absolue de la rupture et de l’hybridation, alors Claire Borde ne fait pas partie du club. Mais si le mot veut dire simplement « de notre temps », alors oui, elle est une artiste contemporaine qui avec des moyens plastiques simples, n’esquive pas la question de la beauté des instants et des choses, ni la présence du « temps qui traverse » toute chose. Et j’aime à croire encore que l’artiste doit être un enchanteur.
Claire Borde se revendique « peintre ~ graveur », pour l’écrire comme elle le voudrait, et cette posture qui n’est pas si courante aujourd’hui, rend salutaire et profitable la visite de cette exposition. Et, bref rappel mémoriel en ces temps d’oubli, c’est l’occasion aussi de voir ou revoir Pérouges, ce village lié au destin du relieur François Badoit, fondateur de la MAC, dont Déroudille, le critique lyonnais, avait si souvent défendu, dans les années 60, l’entreprise d’exposition d’artistes contemporains.
P. Brunel
Claire Borde, « Le temps traverse »
Maison des arts contemporains de Pérouges
Du 25 mars au 23 avril 2017
Exposition ouverte les vendredis, samedis et dimanches de 14h à 19h.
Informations supplémentaires : la Mac et Claire Borde.
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Isaure de Larminat-Lamy (samedi, 03 juin 2017 10:32)
Un bel hommage au travail de Claire Borde, qui le mérite vraiment!