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eOle, l'air de rien...

La journée de la Fête de l’estampe du 26 mai entraîne son lot de rencontres heureuses et de découvertes. Ainsi, à l’Arbresle, dans l’atelier de l’accueillante Cécile Crest, celle de eOle, une plasticienne et éditrice trop rare dont nous avions, il y a quelques années, vu une planche à l’occasion de la parution du deuxième album, intitulé « le Bestiaire », de l’Empreinte, cette fragile association de graveurs bien connue à Lyon. Voilà un travail digne d’intérêt, qui creuse une ligne directrice ancienne, et trace doucement son chemin. 

eOle, Infini, eau-forte.
eOle, Infini, eau-forte.

Le pseudonyme parlant et mystérieux de l’artiste, eOle, mérite d’abord réflexion, car ce nom qui signe l’oeuvre, l’éclaire. Cet e minuscule et cet O majuscule qui déforme et renouvelle l’antique Eole, l’en éloigne : adieu les vents violents et continus, redoutés par les marins grecs toujours à la merci de ces brises qui leur feront connaître ou l’errance sans fin ou l’engloutissement fatal. Non, ce qui reste au contraire, grâce à cette disposition d’un nom commençant et finissant par la même lettre, grâce à cet ovale du O majuscule, c’est l’image d’une circulation aérienne, légère, d’un mouvement régulier et musical. Même la verticalité typographique du « l » s’amenuise à proximité de la majuscule, cet « l » qui est aussi l’aile de l’oiseau, dont elle dit rechercher passionnément les chants. eOle, c’est d’abord l’oiseau en l’air, agile, libre bien sûr, et fragile.

Et pour poursuivre, sur un autre plan encore, l’exploration de ce nom, on pourrait imaginer que cet eOle là se rapproche graphiquement d’un bateau à voile, poupe et proue, mât dressé et voile gonflée, creusant son sillon dans les plaines de la mer, comme disait Homère. Voilà qui nous ramène à la mer, à une circulation en ligne droite, que les vents contraignent parfois à des zigzags heurtés. eOle montre volontiers un travail qu’elle poursuit depuis plusieurs années et qui consiste à transcrire graphiquement dans un cahier les secousses que laissent les cahots, les balancements de la voiture quand on est en route. Le résultat ? Des lignes de traits zigzagants, saccadés, comme ceux d’un sismographe ou d’un électrocardiogramme. Des lignes de « texte » globalement régulières, mais incompréhensibles. Des signes qui appellent la compréhension, qui demandent à être lus et interprétés, mais qui restent mystérieux, résistent à l’entendement. Cela devait parler autrefois à la raison, cela parle à l’âme maintenant : tout l’art est là. C’est déjà une première raison d’aimer son travail.

eOle, Codicilles.
eOle, Codicilles.

La seconde en est, malgré la diversité des techniques (encre, gravure, photo, sculpture, peinture) le fil directeur continu et cohérent. Car ses lithographies, ses gravures, ses photos disent l’exploration d’un invisible aperçu ou d’un visible inconnu ; on devrait même dire que la vie, le monde ou l’image du monde prennent l’apparence d’une langue inconnue mais qu’on pourrait déchiffrer, tant les signes graphiques, lettres ou symboles mathématiques y fourmillent. Une langue parlante mais incompréhensible, étrange, et pour cette raison fascinante : la vision d’un monde dont on perçoit les traces, qui laisse apparaître des signes, mais mystérieux, et qui le restent. 

Ces traces sont celles de lettres sur une vieille pierre lithographique que la presse fait apparaître, comme apparaissent sous l’effet d’un révélateur chimique les caractères effacés d’un ancien message, ou sous l’effet d’une lumière adéquate les mots effacés, grattés d’un palimpseste. Voir la série « Passé simple » qui a débouché sur ce que l’artiste a intitulé « Les Codicilles ». Ce sont des signes mathématiques, chiffres, symboles, graphes, disposés dans des cadres et sur lesquels se greffent d’autres signes, dans la série de gravures intitulée « L’Infini ». Ce sont les traces et les cicatrices que le temps et l’érosion a laissées sur un vieux tronc, une vieille poutre. Ce sont encore les signes, incisions courbes et géométriques, que l’artiste creuse sur les pierres, petites ou grandes, quand elle sculpte. Travail de reconstitution, de reconnaissance, qui relie la réalité et l’imaginaire, le passé et le présent, et par là bouscule le Temps, celui qu’on ne voudrait pas voir fuir. Même cette partie qu’on appelle la « lettre » dans la gravure (numérotation, titre, signature) est métamorphosée en poésie chiffrée et mystérieuse (par exemple celle-ci : VA    252     OHO3    1998    O), visible et invisible, car gaufrée dans le papier. Et tout cela parle au spectateur, lui rappelle de manière constante que le monde si familier qui l’entoure est finalement bien obscur. Et peut-être que toute son attention doit tendre vers ce déchiffrement.

Quand eOle parle d’elle, elle se compare à « un funambule sur un fil ». Ligne directrice sans doute, voie droite et étroite, avec de chaque côté l’abîme. Sans le savoir peut-être, elle retrouve la métaphore par laquelle Musset se décrivait, celle du « danseur de corde … suspendu entre le ciel et la terre. S’il regarde en bas, la tête lui tourne, s'il regarde en haut, le pied lui manque».  Et cet écho nous plaît. Ainsi eOle, trop discrète, suit-elle son chemin, logiquement, en toute cohérence, avec ses risques et périls.

 

P.B 

 

 

Exposition Blue Note, Crest - eOle, 19-28 mai 2016

Atelier Cécile Crest, 9 RUE Dr MICHEL 69210 L’ARBRESLE.

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