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Lyon Renaissance, art et humanisme

« Tailleurs d’ymaiges »

 

« Ores donc, vous, beuveurs tresillustres et congoisseurs d’ymaiges tresprécieux, car à vous non à aultres sont dediez mes escripts, vous convient gaigner le plus tost que faire pourrez cestuy vieil convent lionnois où vivent fleurs trescelebres des arts mecaniques : là verrez elixir delicieux es livres imprimez, et vous esbaudirez, ouvrans ces paiges, devant tailles non pareilles, tant plaisantes que semblent nees d’ambroisie divine »

 

Ce pastiche de Rabelais – il a vécu à Lyon dans les années évoquées – pour dire tout le bien qu'on pense de l'exposition du Musée des Beaux Arts, LYON RENAISSANCE : clarté du propos, richesse des oeuvres ou des documents, synthèse pertinente et présentation adéquate, et surtout présence de l'estampe. 

L’exposition fait la part belle aux peintres, notamment Corneille de Lyon, mais l'estampe est bien représentée à travers les bois gravés des riches et nombreuses impressions lyonnaises de l'époque, et à travers des planches sur cuivre, burins de plus grandes dimensions et de plus haute renommée.

 

On connait le propos de l'exposition : les artistes qui vivent à Lyon, ville cosmopolite, seconde capitale du Royaume, cité d'imprimeurs, attire son lot de graveurs. Ceux-ci s'ouvrent d'abord à l'Italie et à l'art qui s'y produit  et par la suite diffusent au reste de l'Europe, par l'imprimerie, des "modèles" artistiques qu'on trouvera dans la céramique, la tapisserie, la marqueterie, etc. Les graveurs qu'on rencontre s'appellent le maître CC et le maître IC, Bernard Salomon, George Reverdy, Pierre Eskrich, Voieiriot.  De chacun d'eux le musée donne à voir des travaux sur bois, ou sur cuivre.

 

De ces artistes qui ont fait l'originalité de Lyon à la Renaissance, et dont de si fragiles estampes sont parvenues jusqu’à nous, deux au moins, le maître CC et le maître IG, sont connus seulement par les initiales gravées dans les planches qu’ils ont laissées; ils n’ont pas encore définitivement retrouvé leur nom patronymique. Curieux destin posthume aussi que celui de ce « Reverdinus », graveur longtemps oublié, qui passe pour Italien, parce qu'il signe de ce nom latin, auteur d'estampes "médiocres" selon le célèbre A. von Bartsch, identifié tout récemment comme le Georges Reverdy lyonnais attesté en 1529 comme "tailleur d'ymaiges". 

 

Les créations des hommes durent heureusement plus longtemps que leurs créateurs. Même des artistes exceptionnels voient leur nom tomber dans l’oubli. Certes ils étaient du XVIème siècle. Mais cela nous conforte dans notre entreprise qui tente de ranimer le souvenir des graveurs oubliés de ce qu’on pourrait appeler la « Rhodanie » du XIXème, voire du XXème siècle. 

 

Un des premiers intérêts de cette exposition est bien sûr de faire connaître au grand public l’existence et les noms de ces grands artistes, et de montrer certains de leurs travaux. Si Corneille de Lyon fait partie maintenant du patrimoine culturel collectif – grâce à l’appel récent aux dons du Musée des Beaux Arts pour l’enrichissement de ses collections –  les peintres Jean Perréal, ou Bernard Salomon devraient eux aussi pénétrer les mémoires. 

 

Et s’il fallait retenir un graveur, nul doute que l’on choisirait Reverdy, dont le nom bruisse doucement mais fermement à nos oreilles, à la fois comme vieux mot de la langue française, emblème de la célébration du printemps et motif littéraire et poétique des premiers romans de la langue française, et comme le patronyme d’un de nos plus grands poètes du XXème siècle. De Reverdy donc, on s’émerveille devant les deux Léda, une Léda couchée et une Léda debout, par lesquelles commence presque l’exposition : burins d’une composition magnifique (qu’on regarde par exemple les marches asymétriques de la Léda debout sur lesquelles l’artiste a disposé ses personnages), aux tailles et contre-tailles complexes, avec des figures caressées par la lumière et d’une élégance de postures et de gestes remarquable ; on ne savait plus que le burin, que le XXème siècle, avec Decaris, Boullaire ou Burnot à Lyon, a tenté de faire renaître en jouant sur le dépouillement ou la pureté du trait, pouvait produire de tels reflets argentés.

 

Mais cette exposition sur le XVIème siècle lyonnais ne se signale pas seulement par sa dimension patrimoniale : les deux burins, intitulés Le massacre des innocents, du maître CC, et surtout celui du maître JG placé à proximité, trouvent encore aujourd’hui une résonance très contemporaine et terrifiante : des soldats brutaux arrachent des enfants à leurs mères, plongent leurs fers dans le corps des petits, coupent les têtes et on en oublie les architectures antiquisantes sublimes sous lesquelles ils se déchaînent. 

 

Il reste quelques jours pour aller voir ou revoir ces œuvres-là, et bien d’autres, du maître IG encore, par exemple la Flagellation du Christ ou La Nativité, ou de Reverdy les fameuxAlchimistes, avec ses effets de clair obscur sur les tronches grimaçantes et les mains monstrueuses cernées de noirs profonds, de Woeiriot, de Pierre Eskirch... L’amateur de gravures  ne peut que s’y plaire et s’y réjouir.

 

P.B.

 

 

Exposition LYON RENAISSANCE, Musée des Beaux Arts de Lyon, jusqu'au 25 janvier.

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